Innovation : la France n’a pas à rougir des États-Unis !

La réalité issue des comparaisons entre Etats est bien souvent douloureuse, particulièrement lorsqu’elle révèle un décrochage apparent entre deux nations autrefois égales par leur prospérité et leur rayonnement.

A l’heure où la France connaît depuis plusieurs années une croissance atone, couplée à des taux de chômage élevés, les États-Unis d’Amérique, que certains esprits chagrins et hâtifs ont été prompts à enterrer à l’issue d’une grave crise financière et d’une guerre irakienne, ont retrouvé un dynamisme qui nous est inconnu depuis la fin des années 1980.

Un tel constat, un rien décourageant en apparence, est le point de départ d’une remarquable analyse portant sur la suprématie américaine dans le domaine des nouvelles technologies, offerte par l’un de nos grands capitaines d’industries, Jean-Louis Beffa. Président d’honneur de Saint-Gobain, ancienne manufacture royale fondée en 1655 et qui s’est développée d’une manière impressionnante sous sa direction, M. Beffa décrypte, dans Les clés de la puissance (Éditions Seuil, 2015), les raisons de cette prépondérance, qu’il associe à l’excellence du système d’innovation américain, sans conteste le meilleur au monde.

Il est vrai que le concept même d’innovation est profondément ancré dans les mœurs Outre-Atlantique, où il correspond à un véritable esprit d’entreprendre et à une appétence pour le risque enracinés en profondeur dans « l’idéologie » et la culture américaines. A cette tournure d’esprit correspond un mode de financement de l’innovation très différent de celui qui domine en Europe, où les investisseurs ne sont pas des banquiers mais principalement des financiers audacieux, enclins à la prise de risque.

Que dire aussi de l’excellence des universités américaines, terreaux d’innovation qui aimantent les meilleurs esprits et forment des jeunes diplômés ayant la fibre de l’entrepreneuriat. Enfin, rappelons que l’innovation ne s’arrête pas à la porte du laboratoire aux États-Unis. Elle est au contraire perçue comme un processus complet, intégrant des éléments multiples et essentiels tels que le marketing, pour une transformation rapide des résultats de la recherche en un produit final rapidement commercialisable.

Ces quatre critères essentiels expliquent à eux seuls l’essentiel du succès américain. Ils n’en demeurent pas moins spécifiques aux États-Unis, la France possédant sa propre conception de l’innovation, adaptée à son histoire, à sa culture et à ses modes de pensée.

Il serait d’ailleurs inepte de vouloir transposer béatement ce modèle en espérant que les mêmes causes, si tant est qu’on parvienne à les reproduire ici, donneraient exactement les mêmes effets. Nous sommes différents et c’est là que réside notre force !

Selon un classement récent de Thomson-Reuters (2013), la France serait d’ailleurs loin d’être en panne d’innovation, puisqu’elle figure au troisième rang mondial des pays les plus innovants après les États-Unis et le Japon.

Plusieurs facteurs expliquent ces succès : n’oublions pas que l’Hexagone, fort de près de 800.000 ingénieurs et scientifiques formés dans ses grandes écoles et universités, compte plus de 210.000 chercheurs publics et 11 médailles Fields (contre 12 pour les États-Unis).

L’importance historique de la puissance étatique, abondamment commentée et critiquée, a permis, quant à elle, l’émergence de structures telles que Bpifrance, formidable instrument au service des PME et TPE innovantes, jeunes pousses d’aujourd’hui amenées à devenir les leaders de demain. Ou, par exemple, la création des pôles de compétitivité, qui permettent de réunir l’administration, les collectivités et le secteur privé (PME et grands groupes). Tout cela montre que les choses évoluent positivement.

Reconnaissons néanmoins que le monde ne fonctionne plus en vase clos et que notre pays a évidemment à apprendre du modèle d’innovation américain et de son succès. Un travail important reste par exemple à effectuer afin d’alléger les procédures administratives qui pèsent sur les entrepreneurs, pour faciliter la commercialisation rapide de nos innovations. La manière dont nous parvenons à financer l’innovation est également un enjeu central et l’Europe toute entière a encore des progrès à faire pour améliorer la disponibilité du capital-risque.

Surtout, on remarquera qu’à l’inverse de la France et de l’Europe, les États-Unis ne se posent pas ou peu de grandes questions identitaires sur les fondements de leur modèle. La France, beaucoup plus inquiète quant à son talent et ses capacités à s’intégrer pleinement dans le jeu de la mondialisation, gagnerait à s’en inspirer afin de retrouver une certaine confiance en elle et en son avenir. Elle a, et ce n’est pas rien, toutes les cartes en main !