L’essor des ETI, une ode au temps long

Pour le président du laboratoire pharmaceutique indépendant Innothera Arnaud Gobet, les ETI (entreprises de taille intermédiaires) ont des atouts pour résister à la crise annoncée. Elles allient la solidité des grands groupes et l’agilité des jeunes pousses et savent prendre leur temps dans une économie mondialisée où tout va trop vite.

« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » Dans un monde soumis à une accélération sans précédent où le temps devient une denrée rare, force est de constater que la fable du lion et du rat de Jean de la Fontaine n’a pas pris une seule ride… Et ce que nous constatons dans notre vie quotidienne est également la règle dans le monde économique. Paris ne s’est pas fait un jour, les entreprises non plus.

Car nous ne serions rien sans l’intuition de nos ancêtres. Les ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire), dont la grande majorité d’entre elles sont des entreprises familiales (80 %), en sont l’illustration. C’est en s’appuyant sur leurs racines solides, leur culture et leurs valeurs ancrées dans le temps qu’elles ont su dérouler leur propre chemin pour devenir des marques connues et reconnues. Attachées au développement harmonieux des territoires où elles ont leur siège social, nombre d’entre-elles ont toujours des sites de production dans l’Hexagone, tandis que les plus audacieuses y ont rapatrié leurs activités. Cet ancrage territorial est, par ailleurs, devenu leur base arrière pour mener leur conquête internationale. Les trois-quarts des ETI exportent et contribuent, de ce fait, au rétablissement de la balance commerciale française, notait l’Institut Montaigne dans un rapport publié en janvier 2018.

Ces résultats reposent sur leur capacité à faire fructifier les connaissances accumulées de génération en génération, pour transformer ce trésor en compétences uniques. Leurs produits ne sont-ils pas la marque d’une expertise et d’un savoir-faire acquis au cours de dizaines d’années, qui leur permet aujourd’hui de se fixer un cap et d’asseoir leur stratégie sur des bases solides afin d’atteindre leurs objectifs ? Cet avantage stratégique non-négligeable est rendu possible par l’ADN même des ETI, qui plus est familiales : l’absence de pression des actionnaires, à contrario des grands groupes multinationaux, et l’indépendance face aux fonds d’investissement, indispensables au développement des start-up.

Moins tributaires de l’évolution des cours de bourse et des résultats sur le court terme, grâce à la structure de leur capital, elles ont, et c’est sans aucun doute un luxe, la capacité de traverser les tempêtes, en ajustant certes leurs politiques de développement mais sans perdre de vue leurs racines et leur horizon ! « Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli », remarquait justement l’écrivain Milan Kundera dans son livre La Lenteur.

Les ETI allient souplesse, épanouissement et confiance dans la jeunesse

Cette position singulière leur permet d’allier la solidité des grands groupes et l’agilité des jeunes pousses. À ce titre, elles ont pleinement leur place dans un écosystème riche et dense, où la diversité est source de complémentarité. Reste que pour ne pas compromettre leurs chances et réduire en poussière le solide édifice construit au fil du temps, elles doivent prendre garde à ne pas s’endormir sur leurs faits d’armes et profiter de cette expérience en y injectant l’énergie de la jeunesse pour aller toujours plus de l’avant.

Bonne nouvelle pour les ETI, qui sont les plus grandes créatrices d’emploi en France, selon une étude de Deloitte parue fin 2017 : ce qui fait leur identité est un atout pour attirer, motiver et fidéliser les collaborateurs, et notamment les plus jeunes d’entre eux. C’est une façon de répondre à leur quête de sens et à leur envie de se projeter vers le futur. Travailler dans cet environnement, c’est en effet, compte tenu des évolutions passées, avoir la certitude de mener des projets ambitieux qui ne seront pas remis en cause au premier coup de Trafalgar. Ne devant pas rendre de comptes à court terme, elles ont de plus le loisir de décider d’investir pour l’avenir et les salariés sont accompagnés pour se développer et saisir les opportunités. L’étude de Deloitte remarquait d’ailleurs que les ETI investissaient plus que les autres sur les technologies émergentes et étaient aussi plus enclines à faire de la veille sur les sujets émergeants. De plus, les ETI sont suffisamment importantes, de par leur taille, pour offrir des évolutions de carrière, que ce soit en France et même à l’étranger.

Par soucis de rester agiles, ces entreprises ont parallèlement opté pour des organigrammes souples, caractérisés par un encadrement hiérarchique réduit. De quoi permettre à ceux qui choisissent de les rejoindre de s’épanouir dans un environnement à taille humaine. Chez elles, la valeur n’attend pas le nombre des années. Et elles font confiance à la jeunesse pour relever les défis et écrire les futurs chapitres de leur histoire.

Face aux tumultes de l’accélération du temps, entreprises, entrepreneurs et collaborateurs ont donc tout intérêt à faire le pari d’une construction long-termiste, dont les retombées humaines et économiques n’en seront que plus solides. Si les chiffres des colossales levées de fonds de la French Tech laissent rêveur, le maillage de nos champions historiques, plus discrets, reste indiscutablement le socle de la stabilité de nos territoires.

Arnaud Gobet est président du groupe INNOTHERA, laboratoire pharmaceutique français indépendant qui développe, fabrique en France et commercialise dans le monde des médicaments, des dispositifs médicaux, des textiles intelligents et connectés.

Paru sur L’Usine Nouvelle le 27/12/2018

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