Les entreprises du médicament doivent-elles absolument se diversifier ?

Il est des moments, plus fréquents qu’on ne le pense, où les dirigeants d’entreprises se retrouvent dans la peau de l’étudiant en management qu’ils ont parfois été au cours de leur jeunesse, sommés de choisir entre deux positions théoriques à priori irréconciliables : l’entreprise dont ils assurent la direction doit-elle se concentrer sur un marché spécifique et étroit mais profitable ou, au contraire, opter pour une large diversification, y compris sur des secteurs éloignés de son cœur d’activité ?

Ce dilemme classique de la stratégie d’entreprise est bien connu et a déjà été abondamment exposé par des experts en management et spécialiste des organisations dont l’autorité et la notoriété ne sont plus à faire.
Concentré sur une pathologie, le diabète

Pour autant, le choix récent de la Harvard Business Review (HBR) de désigner Lars Rebien Sørensen, directeur général du laboratoire pharmaceutique Novo Nordisk, comme « patron d’entreprise cotée le plus performant au monde », éclaire sous un nouveau jour ce fameux dilemme, particulièrement pour les industries de santé dont le poids dans l’économie mondiale, avec un chiffre d’affaires global de 910 milliards d’euros (source LEEM), ne peut décemment être sous-estimé.

Entre diversification et spécialisation, le groupe Novo Nordisk a lui clairement choisi son camp, en décidant de concentrer tous ses efforts d’investissement, de R&D et de production sur une seule pathologie, le diabète, dont il est le spécialiste reconnu depuis sa création dans les années 1920 et le leader mondial depuis les années 1980.

Cette « hyperspécialisation », loin de porter préjudice à la rentabilité du laboratoire danois, lui a été, en réalité, très bénéfique, comme en témoignent d’excellents résultats (augmentation de 32% du bénéfice net en 2015, marge opérationnelle à 46%, etc) venant justifier, à posteriori, la récompense de cette institution de référence qu’est la Harvard Business Review.

Les acteurs de la « Big Pharma » optent pour la diversification

Une telle stratégie s’inscrit pourtant en porte-à-faux des orientations traditionnellement décidées chez la plupart des acteurs de la Big Pharma, où l’appétence pour la diversification est manifeste depuis des décennies. Que l’on songe un moment aux Johnson & Johnson, Novartis ou autres géants habituellement prompts à explorer toutes les options et tous les marchés possibles pour y être présents et trouver ainsi des relais de croissance plus ou moins durables, mais rapides.

Comment expliquer cette méfiance de principe des industriels de la santé face à la spécialisation et à l’exploration d’une stratégie déployée sur le long terme ? Sans doute faut-il trouver ici les signes d’une certaine fébrilité du marché au niveau mondial, à l’heure où la capacité à réagir et à s’adapter face aux contingences de l’immédiateté est devenue en quelque sorte le nouveau paradigme de gestion.

Un choix difficile

Le choix de la spécialisation, et donc du « temps long » à un moment où la société va plus vite et où des pans entiers de l’économie tendent à « s’ubériser », et donc potentiellement disparaître, est inévitablement un choix difficile, qui exige la constance et l’opiniâtreté nécessaires pour continuer à creuser le même sillon sur plusieurs années, voir décennies !

Néanmoins, les vertus du « temps long » et de la spécialisation, d’apparence moins séduisantes que celles de la très « guerrière » diversification, commencent fort heureusement à se faire davantage connaître et apprécier. Le succès d’une entreprise comme Novo Nordisk ne peut laisser indifférent et inspire ainsi certains géants tels Merck ou Sanofi, qui commencent, eux aussi, à réévaluer l’arbitrage entre de fortes marges sur un ou deux marchés ou une présence simultanée mais forcément fragmentée sur une multitude de segments.

Un parcours de soin plus global

Au-delà, rappelons que diversification et spécialisation ne sont pas totalement antagonistes et peuvent au contraire s’enrichir l’une et l’autre ! Les entreprises de santé peuvent ainsi se concentrer pleinement sur un secteur spécifique ou une pathologie donnée et développer parallèlement des services diversifiés et complémentaires autour de leurs médicaments ou de leurs dispositifs médicaux qui constitueront autant de relais de croissance rentables.

Le développement de la santé connectée offre en cela une véritable opportunité aux chefs d’entreprises, qui peuvent désormais inscrire la prise d’un médicament ou l’utilisation d’un dispositif dans un parcours de soin plus global. Une nouvelle application pour smartphone permettra, par exemple, au malade de suivre avec efficacité son traitement au quotidien et au laboratoire d’optimiser sa spécialité.

L’évidence impose dès lors de reconnaître qu’il n’existe pas une seule et unique voie, diversifiée ou spécialisée, pour mener au succès. Bien au contraire, le domaine de la stratégie d’entreprise, particulièrement dans une industrie aussi sensible que celle de la santé, impose de se méfier de la pensée unique et tracer son propre chemin, en ayant conscience de nos forces, faiblesses et ressources.

Arnaud Gobet
Président d’INNOTHERA

Paru dans La Tribune du 21/04/2016