L’entreprise idéale : la start-up centenaire ?

« Au âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre d’années » faisait dire Corneille à Rodrigue, l’âme trop pressée de venger son vénérable père Don Diègue et prouver ainsi, malgré sa jeunesse et son inexpérience, sa valeur et son courage.

Pour peu qu’on s’intéresse, outre la littérature et le théâtre, aux grandes tendances de l’économie française et à la dynamique entrepreneuriale dans l’Hexagone, force est de constater que l’hymne à l’émancipation et à la flamme juvénile du Cid a été entendue, au point que la jeunesse et sa fougue deviennent l’alpha et l’oméga de la réussite économique.

Ainsi, à l’heure où des thématiques comme la transformation numérique et l’« ubérisation » s’imposent plus que jamais dans le débat public, les champions de l’époque sont, d’abord et avant tout, pour ne pas dire exclusivement, les start-upper, jeunes entrepreneurs ayant parfaitement intégrés les exigences d’innovation, de disruption et de subversion face aux modèles établis.

La place accordée aux jeunes pousses se ferait-elle, dès lors, au détriment des entreprises installées, en particulier les quelques 1 270 sociétés, en grand majorité des TPE ou PME, centenaires et encore en activité selon les chiffres avancés par le label Entreprises Familiales Centenaires (EFC) ?

Sont-elles alourdies par le poids des ans, ou, bien au contraire, ont-elles un cuir heureusement tanné par les multiples heurs et malheurs qui marquent une vie de centenaire?

Le poids de ces dernières dans le PIB hexagonale est pourtant tout sauf négligeable, avec un chiffre d’affaires global qui dépasse largement les 150 milliards d’euros pour près d’un million d’emplois directs !

La stabilité de leur gouvernance, souvent familiale et transmise de générations en générations, leur soucis de maximiser les ressources disponibles, leur refus du profit court-termiste, la constitution patiente de réseaux basés sur des relations de confiance, sans oublier le capital marketing lié à l’image d’ancienneté et au poids considérable des marques durablement installées, sont autant d’avantages qui militent en faveur d’une reconnaissance sans ambages du rôle des entreprises centenaires dans la croissance de l’activité et de l’emploi.

Pourtant, l’auteur de ces lignes n’entend nullement imposer un choix aussi réducteur qu’inutile entre, d’une part, le fameux modèle du Mittelstand allemand, composé en grande partie d’entreprises centenaires et familiales expertes dans leurs domaines, et, d’autre part, celui de la Silicon Valley californienne avec sa cohorte de licornes pionnières des nouvelles technologies.

Bien au contraire, c’est en rassemblant les avantages de chacun et jouant sur la complémentarité entre groupes établis depuis plusieurs décennies et nouveaux venus bousculant les habitudes qu’un nouveau type d’entreprise pourra émerger, celui de la « start-up centenaire » mêlant l’audace et l’agilité aux vertus de l’expérience, du recul et de la durée.

Sachant qu’il n’y a aucun antagonisme entre ces deux philosophies.

Il faut pour cela veiller à soutenir l’émergence d’un réseau de start-up solides et prospères, comme s’y emploient avec succès Bpifrance et la French Tech depuis quelques années, tout en protégeant les sociétés d’ores et déjà installées.

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, il serait bon que les différents candidats s’engagent à favoriser les partenariats entre jeunes pousses de la nouvelle économie et les entreprises, grands groupes, PME ou ETI, établies, notamment en facilitant des prises de participation directes en capital et en stimulant les échanges technologiques.

Comme l’a démontré Jean-Louis Beffa dans son dernier ouvrage « Se transformer ou mourir. Les grands groupes face aux start-up » (Éditions du Seuil – 2017), « l’esprit start-up » doit désormais irriguer l’ensemble des prises de décision des entreprises, centenaires ou non. Celles-ci ont tout intérêt à s’imprégner de ce nouvel élan capable de les transformer en profondeur, l’ancienneté n’excluant ainsi en rien la capacité à se réinventer et à toucher de nouveaux cœurs de métier comme l’ont fait 40% des entreprises centenaires (sources EFC).

La start-up centenaire, modèle incontournable de l’économie de demain, sera armée pour lutter contre cette tendance à l’immobilisme qui a tué les Kodak, Nokia et autres Félix Potin, tout en acquérant une capacité à se construire dans la durée, précisément là où la solidité et la résilience se créent pour plusieurs générations.

N’oublions pas la leçon de Proust, nous rappelant dans Le Temps retrouvé (1927) que « c’est avec des adolescents qui durent un assez grand nombre d’années que la vie fait ses vieillards ».

Arnaud Gobet
Président d’INNOTHERA

Paru sur Maddyness le 19/04/2017