Industrie : l’usine, enfant pauvre des stratégies d’entreprise ?

Devenue bien malgré elle « star » d’une campagne hors norme, l’usine Whirpool d’Amiens aura vu défiler les deux finalistes à l’élection présidentielle dans un grand concert politico-médiatique jetant une lumière crue sur les difficultés rencontrées par les sites industriels de l’Hexagone depuis un inquiétant nombre d’années, voir de décennies.

De Florange à Aulnay-sous-Bois, en passant par Goodyear ou Moulinex, l’histoire récente semble ne devoir retenir que les images de crises, de fermetures massives et de promesses politiques non-tenues, installant un doute insidieux quant à l’avenir et l’utilité même des usines dans les stratégies d’entreprise. 

Tandis que le poids de l’industrie dans notre richesse nationale, divisée par deux depuis 1970, continue de régresser, doit-on pour autant prononcer l’acte de décès du site de production, forcément anachronique et dépassé à l’heure de la dématérialisation, de la digitalisation et d’une évolution somme toute frénétique des tendances et des technologies ? 

Sans jouer les cassandres du déclinisme, la tentation est effectivement grande de cantonner les unités de production, handicapées, il est vrai, par des investissements nécessairement lourds et à amortissements longs ou par des effectifs parfois pléthoriques et peu flexibles, à une mission de pure et simple intendance.

Que n’avons-nous pourtant appris, nous chefs d’entreprise, de l’exemple d’Alcatel, connu de triste mémoire comme l’un des pires carambolages industriels ayant marqué l’histoire économique et sociale récente de la France, plus édifiante dans son récit et ses conséquences que n’importe quel autre échec rencontré par un fleuron hexagonal ?

À l’heure où optimisme et confiance reprennent progressivement leurs droits chez les patrons du « secondaire », portés par un solde ouverture/fermeture de sites devenu positif pour la première fois en 8 ans, ne répétons pas l’erreur commise par l’ancien géant des télécoms, qui voyait dans l’usine un outil d’ajustement dénué de la moindre dimension stratégique, condamné à la rationalisation, à l’externalisation ou à la délocalisation.

La doxa d’alors, restée célèbre sous le terme de « Fabless » et médiatiquement promue par Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel à l’aube des années 2000, ne voyait de valeur ajoutée qu’au sein des activités de R&D, de marketing ou grâce aux brevets, comme si une usine n’était elle faite que des petites mains sans cerveaux.

Dans la droite ligne de cette logique pourtant condamnée par le Prix Nobel Paul Krugman, nos usines ont aussi longtemps souffert d’être cantonnées à une équation éminemment réductrice : coût, qualité, délais, où il suffit de produire au moins cher, de se conformer aux exigences de qualité et de s’organiser pour produire les quantités demandées dans les délais. 

Cette vision statique, vision à la « papa » qui ne tient nullement compte de l’extraordinaire complexité de faire tenir ces 3 critères dans un monde en perpétuelle évolution, s’accroche de surcroît à l’illusion d’un produit par définition figé et accepté comme tel par ses clients.

Là est dimension stratégique du site industriel ! Car c’est lui, en premier lieu, qui permet d’adapter rapidement et efficacement le produit aux inévitables et permanentes remises en cause induites par son  marché. 

Quel est le défi du site industriel s’il veut acquérir cette dimension?

Diversifier et élargir en permanence ses compétences et savoir-faire technologiques, tout en faisant preuve de flexibilité et de transversalité avec le reste de l’entreprise, autant d’exigences aujourd’hui intégrées par les groupes industriels les plus performants. Pour cela, il faut les équipements mais, bien plus, les femmes et les hommes, avec leur compétence, leur motivation, leur capacité à travailler en équipe, à se remettre sans cesse en question.

Contrairement aux préjugés à la mode, l’industrie reste un secteur d’avenir pour la France, comme le prouve les chiffres de l’INSEE pour les 3 derniers mois avec une hausse de 2,3% de la production manufacturière et de 9,5% des exportations industrielles.

Alors que se profile la révolution de la smart factory via le déploiement de l’intelligence artificielle, nous avons entre nos mains les clés pour capitaliser sur ce potentiel. Sachons donc les utiliser.

Arnaud Gobet
Président d’INNOTHERA

Paru sur L’Usine Nouvelle le 20/05/2017