Qu’est-ce que le bonheur ?

Chacun aspire au bonheur ; le sien tout d’abord, puis celui des êtres qui lui sont chers ; certains l’attendent, d’autres le cherchent, d’autres le recherchent.

Le bonheur c’est une utopie, dit le pessimiste : il faut tant de pièces pour le composer qu’il en manque toujours une, disait Bossuet. Le bonheur ne peut être qu’un éphémère rayon de soleil sur le chemin d’épines de la vie, car il n’existe que lorsque le malheur veut bien nous laisser tranquille,  dit le  pessimiste.

Etre heureux, c’est une question de volonté, dit le théoricien.

Chacun trouve son bonheur là où il veut, où il peut, dit le philosophe de comptoir.

Le bonheur est une loterie, dit le fataliste.

Au fait, qu’est-ce que le bonheur?

Les causes de bonheur, de non-bonheur : la santé, le travail, le couple, la famille, pour vous, pour chacun des êtres qui vous sont très chers, parents-enfants-amis-proches.

Vous pensez bien que cela fait tant de pièces que tout ne peut pas aller bien-mal à la fois.

C’est un damier avec des cases noires et blanches, voire grises. Et des cases qui chaque jour que Dieu fait, pour certaines changent de couleur.

Restreignez la taille du damier pour réduire le nombre de cases noires : soyez égoïste, que le malheur des autres glisse sur vous comme l’eau sur les plumes du canard ; mais vous vous priverez d’autant de jouir du bonheur des autres.

Il y a les gens béats : toujours heureux quoiqu’il arrive, fort les immenses malheurs. Le ciel de leur pensée est un immense ciel d’azur, toujours baigné d’un grand soleil. Il leur faut un immense malheur pour que le soleil se voile.

Il y a les gens sombres : leur ciel est gris et bas, chargé de nuages aussi lourds que sombres. Il leur faut un immense bonheur pour qu’une éclaircie apparaisse.

Il y a les gens tempérés : leur ciel est un ciel de temps clair, enjolivé de nuages qui voguent au gré du vent. Selon leurs pensées ou leurs activités du moment, le soleil est provisoirement voilé et le moral – le bonheur instantané – avec.

Le progrès matériel a apporté le bonheur, dit-on : peut-être ; à son énorme actif, il a supprimé une sorte d’esclavage, l’esclavage des tâches matérielles, qui usaient le corps et ne laissaient pas à l’esprit le temps de vivre. 

Bêtes de somme nous étions : aller droit dans le sillon pour survivre, tel était notre horizon, quand la maladie ne nous réduisait pas à néant. Résignés, l’âme privée d’états, soumis aux aléas du sort.

Aujourd’hui, de bêtes de somme menés par la vie, nous sommes promus cochers de notre vie, mais aussi ânes de Buridan : nous pouvons la choisir, l’orienter, la mener à notre gré.

Plus d’esclavage, mais c’est l’angoisse qui taraude, l’angoisse de disposer de la liberté de nous-même: ai-je bien fait? Bien choisi? Aurais-je pu mieux faire? La souffrance de l’esprit s’est substituée à la souffrance du corps. Mens sane in corpore sano. Ces deux-là ont joué au vase communicant.

Et les vieux n’ont pas le même bonheur que les jeunes : les uns sont heureux de ce qu’ils ont faits, les autres de ce qu’ils feront. Des souvenirs pour les uns, des projets pour les autres.

Chacun, au long de sa vie, aura son lot de bonheurs et de malheurs, de cases blanches et de cases noires ; à proportions diverses, selon la Chance et le Hasard, les petits vernis et les malchanceux, mais un inéluctable méli-mélo.

Chacun s’y prépare à sa manière : les uns s’organisent pour éluder le malheur et jouir du bonheur ; les autres prennent tout comme cela vient ; d’autres pensent expier dans le malheur je ne sais quelle faute, et, par un certain masochisme, s’y complaisent autant qu’ils culpabilisent dans le bonheur.

Chacun se construit sa maison pour y loger sa vie : protégé du soleil des passions et bonheurs trop ardents, des vents des malheurs trop puissants; mais les uns ont leurs fenêtres ouvertes au sud, d’autres au nord, les uns ont la vue sur une verte campagne, d’autres sur un triste paysage. Et nonobstant, chacun en aménage l’intérieur à son goût … 

Alors, au final, qu’est-ce que le bonheur ?

La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié, dit-on. 

Le bonheur est de même nature : n’est-ce pas le sentiment intime qui reste lorsqu’on oublie de penser ?