L’innovation : pour faire mieux, ou pour faire autrement ?

Innovation ! Innovation ! clament-ils tous en chœur ! L’innovation, ce dieu des temps modernes, ce sésame qui ouvre grand les portes de la prospérité; cette déesse bienveillante, pleine de jeunesse et de vigueur dont la seule évocation enflamme les esprits.

Pour l‘entrepreneur, l’innovation est la voie royale à la croissance et à la prospérité ; pour le consommateur, c’est la panacée pour lutter contre la routine et l’ennui.

Ils veulent du neuf, ils veulent du nouveau ; mais, pour autant, veulent-ils du changement ?

Bien sûr, l’innovation est nécessaire. Mais pour quoi faire ? Pour faire mieux ? ou pour faire autrement ? Je ne parle pas ici de la distinction traditionnelle entre innovation incrémentale et innovation de rupture, qui ne concerne que l’aspect technique des choses, le plus facile à appréhender).

Si l’homme aime à s’amuser, si l’homme aime à avoir toujours mieux – et toujours plus – l’homme répugne à avoir toujours différent. On ne sort pas facilement, et sans danger, des rails que l’usage, l’habitude, les réflexes acquis ont tracé. Ces mêmes rails qui, s’ils vous permettent d’aller au plus vite d’un point à un autre, vous empêchent aussi de connaître, d’explorer tout ce qui n’est pas départ ou arrivée.

Il y a une barrière au changement, physique, psychologique ; conservatisme, traditionalisme, crainte de l’inconnu, appelez-le comme il vous plaira ; mais l’on peut dire aussi réflexe salutaire, instinct de conservation face à l’inconnu qui peut être aussi bien faste que néfaste.

Ne glorifions pas excessivement ceux qui sont en quête permanente de changement, ces dieux nouveaux des temps modernes, peut-être ne sont-ils que des éternels insatisfaits. Ou ne sont-ils que les éclaireurs, les avant-gardes d’une caravane qui chemine en pays inconnu, avant-garde dont la raison d’être est d’explorer les opportunités autant que les dangers qui se présentent.

Ne fustigeons pas systématiquement ceux qui sont prudents face au changement, peut-être ne sont-ils que des sages qui ont compris que, comme disait Napoléon, « on perfectionnera tout, sauf le bonheur ». Ou ne sont-ils que l’arrière-garde qui veille à ce qu’aucun danger ne guette une caravane qui s’avancerait trop vite en terrain inconnu. Si notre époque glorifie les innovateurs au détriment des conservateurs, il n’en a pas toujours été ainsi : il n’est qu’à relire certaines fables de La Fontaine pour s’en convaincre…

Chantre du nouveau à tout crin ou adepte de la tradition à toute force ? Que faut-il choisir ? Le raisonnable bien sûr, et comme toujours, se situe quelque part entre ces deux extrêmes. Il n’est pas bon que la caravane n’avance plus et s’enterre dans l’immobilisme; il n’est pas bon non plus qu’elle galope inconsidérément en pays inconnu.

Le juste milieu. Peut-être est-il dans ce qu’on appelle communément le progrès : cette marche régulière de la caravane ; bien assurée de l’avenir par ses éclaireurs qui sans cesse vont et viennent à l’avant ; bien assurée de sa sécurité par l’arrière-garde qui veille à toute attaque sournoise. Elle marche à son rythme propre, que rien ne peut durablement modifier : le rythme des bêtes de somme lourdement chargées, le rythme du pas des hommes, dont la majorité ne sont plus très jeunes et pas encore très vieux.

Une chose est sûre : les entreprises qui réussissent durablement sont celles qui au-delà d’une innovation technologique bien maitrisée, savent également et, dirai-je tout d’abord, anticiper, accompagner, voire provoquer les grands changements de la société ; qui savent adopter le juste rythme du progrès ; qui sentent et qui comprennent les aspirations profondes, cette houle puissante qui rythme la marche en avant des sociétés, et pas seulement l’écume éphémère qui virevolte à la crête de ses vagues.

L’innovation n’est pas un veau d’or qu’il convient d’adorer béatement ; c’est un merveilleux moyen que la science, les arts et le génie humain mettent à notre disposition pour nous faire avancer. Mais c’est un serviteur que l’on ne doit pas laisser s’ériger en maître. Un serviteur qui doit nous aider à vivre mieux, et non un maître qui nous forcerait à vivre autrement.

Arnaud Gobet
Président du groupe Innothéra
Président du pôle de compétitivité MEDICEN Paris Région