La marche en avant de l’humanité : quand les cerveaux détrônent les muscles…

Aujourd’hui la science, le « progrès », sont un merveilleux terrain de jeu pour l’intelligence et la créativité humaine. Jamais, tout au long de l’épopée humaine, elles n’eurent un objet qui leur permit de se donner aussi extraordinairement libre cours.

S’il est commun de dire que la science a révolutionné le confort matériel, il faut dire aussi, et là n’est certainement pas le moindre de ses mérites, qu’elle a révolutionné la marche des cerveaux. Passant l’essentiel de notre temps éveillé à travailler, cette formidable aventure de la science réside autant dans la nouvelle nature du travail que dans les bienfaits qu’elle apporte. Là où la masse des travailleurs, dans le temps, s’échinait, le dos courbé, à gratter et solliciter avidement une terre ingrate, soumise aux aléas d’une nature aussi rude qu’imprévisible, à s’épuiser, à s’abrutir physiquement au point d’en oublier qu’elle était également dotée d’un cerveau, à prier pour que le Ciel ne l’abandonne pas complètement, à souffrir toujours et à mourir souvent, là où tout n’était que labeur et sueur, aujourd’hui combien toutes ces souffrances et douleurs sont d’un autre temps, si ce n’est d’un autre monde, d’une autre planète !

Travailler, aujourd’hui, c’est faire travailler son cerveau bien plus que ses muscles. Les muscles, c’est de la seule énergie brute : le charbon, l’atome, le pétrole y pourvoient aujourd’hui à leur place. Cette énergie « fossile », lentement constituée au cours des millénaires, utilisée et édulcorée par la science et la technique nous permet de ranger au placard nos muscles, ou de ne les sortir que pour en jouir et s’en amuser.

Là où les exploits chantés et vantés des héros d’antan résidaient d’abord et avant tout dans la puissance des biceps –Hercule, Sanson, moult guerriers célèbres par leur force brutale bien plus que par leur subtilité, hors cet Ulysse qui est bien l’exception qui confirme la règle- , aujourd’hui nos héros immortels sont les grands chercheurs, découvreurs, inventeurs. Quel héros moderne repose au Panthéon par le seul mérite de ses muscles ?

Les cerveaux ont pris le pouvoir. Pour faire du complexe, pour inventer, pour innover.
Les cerveaux se « lâchent », les cerveaux se déchainent, au propre autant qu’au figuré.

Mais le cerveau de l’homme, tout comme ses jambes, est fait pour avancer. S’il ne peut le faire, il se sclérose autant que les jambes se décharnent si elles ne marchent. L’immobilisme et la routine ne lui valent rien.

Aux temps d’avant la science, les cerveaux –et ils étaient rares- qui avaient le loisir d’avancer ne pouvaient le faire qu’en s’évadant du réel : c’était le monde de l’imaginaire, d’autant plus ouvert que la science n’en avait pas encore restreint les bornes par la découverte de toutes les « vérités » scientifiques. La poésie, les fables, les contes, le surnaturel, le merveilleux, pour les imaginatifs, la casuistique pour les rationnels étaient les terrains de jeu privilégiés des cerveaux en folie. Sans rapport aucun, ou si lointain, avec le monde de la matière.

Et puis la science est arrivée : elle a réconcilié les cerveaux avec la matière, ou, plus exactement, elle a connecté les cerveaux à la matière ; le train du progrès a pu enfin démarrer, tiré par cette merveilleuse locomotive qu’est l’intelligence humaine. Ou, plus poétiquement, le Prince charmant du progrès a réveillé cette belle endormie qu’était l’intelligence humaine : la princesse maintenant réveillée aime et veut être aimée de son prince charmant. Le progrès avant tout, la matière avant tout, l’innovation avant tout, en un amour encore tout neuf peut-être trop dévorant… mais qui, comme tout amour bien né, s’assagira avec le temps.

Aujourd’hui l’humanité, ce sont des millions de cerveaux qui tournent à plein régime. Ils n’étaient que quelques milliers il y a quelques siècles…. Quelle masse, quelle force prodigieuse ! Mais qu’il faut nourrir ; le train doit rouler, la princesse doit aimer : c’est la perpétuelle marche en avant de l’humanité, pour le progrès et pour l’innovation, pour le meilleur et pour le pire, l’important étant qu’elle avance …

L’armée des cerveaux, immense et prodigieuse armée, levée et mise en marche, que rien n’arrêtera plus.

Armée de libération qui affranchit d’un esclavage de toujours une humanité courbée sous le joug impitoyable de la nature ? Armée d’asservissement qui fait tout plier et ployer sous sa force irrésistible ? L’armée n’est qu’un outil dans la main de ses maîtres. Aux généraux qui la mènent de la discipliner, aux peuples qui la dirigent de lui fixer de nobles objectifs …