Deux poids deux mesures pour l’infiniment petit

Le mystère de la matière se perce en plongeant au plus profond possible du petit et de l’infiniment petit. Les tréfonds jamais ne s’atteindront, il existe toujours plus petit que le plus petit, et ceci jusqu’à l’infini. Mais chaque étape franchie nous livre un savoir précieux qui fait progresser connaissance et compréhension.

Dans ce domaine, l’exploration de l’infiniment petit a toujours apporté bien plus que celui de l’infiniment grand. L’exploration de l’atome infiniment plus que celle du cosmos. C’est en découvrant et en comprenant les briques qui constituent la maison que l’on comprend mieux le pourquoi de sa solidité ou de ses fragilités, le pourquoi de ce qu’elle est ; bien plus qu’en envisageant la maison tout entière, et le champ qui la porte, et le pays qui l’entoure.
 
Ce qui vaut pour la matière vaut pour l’esprit.
 
Et pourtant… L’atome de l’esprit, et plus petit encore, nous est incroyablement plus mystérieux que celui de la matière. C’est que l’on n’a pas mis les mêmes moyens pour en percer les secrets. A l’inverse, que d’énergie ne dépense-t-on pas, pour découvrir l’infiniment grand de l’esprit ! Des principes, des dogmes, des systèmes, des théories, sociales, politiques, économiques, en veux-tu, en voilà ! Combien n’a-t-on pas vu fleurir d’experts de tous poils, qui chacun, sont convaincus d’avoir découvert le Graal de la prospérité et du bonheur collectif !
 
Tous ces gens-là sont comme des architectes qui concevraient et prétendraient bâtir un édifice sans connaître et sans avoir étudié précisément la nature et les propriétés des matériaux qui le constitueront, du sol qui le portera. Imaginez la solidité de tels édifices ! Les guerres, les crises de toutes natures qui secouent périodiquement les sociétés humaines ne sont-elles pas l’illustration de ce principe, appliqué aux édifices humains que sont un pays, une collectivité, le plus souvent ainsi bâtis par des architectes théoriciens qui n’ont pas approfondi la connaissance de la pâte humaine, ce matériau élémentaire essentiel de tout édifice humain collectif ?

C’est que si nous sommes très enthousiastes et très excités à l’idée d’explorer les tréfonds de la matière, nous le sommes beaucoup moins à celle d’explorer les tréfonds de la matière humaine…. C’est que nous avons peur d’y découvrir des choses… des choses peu conformes à l’idéal de perfection ou d’angélisme dont nous aimons tant à nous parer.
Alors on se trouve tous les prétextes, et aujourd’hui plus encore qu’hier, pour ne pas y aller.

Soit, pour éluder le problème, on se réfugie dans une approche purement scientifique, qui élude le mystère du cœur et de l’âme, en réduisant tout cela à une question de neurones et d’impulsions électriques plus ou moins bien connectés ; c’est utile pour comprendre et traiter des dysfonctionnements physiologiques, mais inadéquat pour le reste. Un « scientifique » n’est-il pas allé jusqu’à dire que le « coup de foudre » n’était que le résultat d’une réaction chimique particulière !

Soit l’on invoque le principe « de la sphère privée », du « droit à l’intimité » de chacun, qui interdirait toute introspection trop prononcée de la collectivité dans cette fameuse sphère qui se devrait de tourner rond toute seule.

Soit lorsqu’on aborde ces questions du fonctionnement intime jusqu’à l’infiniment petit de la nature humaine, on aborde aux territoires flous et élastiques de la philosophie et de la religion.
 
Philosophie, dont l’expression aride et intellectuelle, qui se veut inéluctablement comme telle pour paraître sérieuse, reste une affaire d’initiés qui y voient bien plus un intéressant jeu de l’esprit qu’une approche humaniste approfondie. A part Socrate, citez-moi un philosophe qui soit universellement reconnu comme un « saint », au sens le plus noble du terme.

Religion, cette approche quasi-universelle de tous les peuples pour explorer les mystères de la vie et de l’âme, ces mystères si indissolublement et quotidiennement mêlés à toute activité humaine, et dont on veut aujourd’hui plus que jamais laisser l’exploration à la seule initiative de chacun, au nom du sacro-saint principe de la laïcité. Débrouille-toi comme tu veux avec la morale, la métaphysique et tout le reste, ce n’est pas le rôle de la collectivité de t’aider et de t’éclairer sur ces questions si cruciales et si fondamentales !

Ainsi donc, il n’est pas prêt de venir le temps où l’exploration de l’infiniment petit de l’humain sera aussi importante et prioritaire que celle de l’infiniment petit de la matière.

Longtemps encore donc, les collectivités humaines resteront ces édifices incertains, fragiles, imprévisibles, bâtis sur des fondations mal connues, avec des matériaux mal maîtrisés.